ETUDE DU LIVRE DE L’APOCALYPSE
FIABILITÉ ET PRÉSERVATION DE LA BIBLE
Qui a écrit le livre de l’Apocalypse? L’apôtre Jean ou quelqu’un d’autre?
Les livres bibliques font l’objet d’analyses approfondies depuis des millénaires et depuis environ 200 ans, le scepticisme n’en a épargné presqu’aucun. On pourrait naturellement penser à la paternité du pentateuque qui n’est plus attribuée à Moïse dans les cercles libéraux mais le livre de l’Apocalypse lui-même est également dans le collimateur des livres mal attribués. Il n’aurait pas été rédigé par l’apôtre Jean, comme pourtant perçu historiquement, mais par un autre auteur. L’évangile de Jean, les trois épîtres éponymes et l’Apocalypse ne seraient pas le fruit d’un seul auteur mais de plusieurs. Que doit-on en penser ? Jean a-t-il écrit les livres qui lui sont attribués ? Et particulièrement le livre de l’Apocalypse ?
L’Apôtre Jean semble être le candidat le plus plausible pour être le Jean de l’Apocalypse. Des preuves importantes des Pères de l’Église le placent à Ephèse en Asie Mineure et le désignent comme l’auteur de l’Apocalypse. Les preuves internes du livre de l’Apocalypse ont été lues de diverses manières, mais elles ne semblent pas être décisives en faveur d’un autre Jean. Alors qu’on note une véritable continuité théologique entre les divers écrits johanniques, les différences stylistiques trouvent des explications et ne suffisent pas pour remettre en cause la paternité du livre de l’Apocalypse.
La paternité de l’Apocalypse selon les Pères de l’Église
Aux alentours de la moitié du deuxième siècle de notre ère (à peine 100 ans après le ministère de Jésus) Justin Martyr a participé à un débat avec Tryphon à Éphèse. Nous retrouvons une citation essentielle de Justin Martyr concernant l’auteur de l’Apocalypse « Ajoutez le témoignage d’un apôtre de Jésus-Christ, un de nos écrivains sacrés, nommé Jean. Il nous annonce, parmi les choses qui lui furent révélées, que ceux qui auront eu la foi en notre Christ passeront mille ans à Jérusalem, qu’ensuite tous les hommes ressusciteront ensemble et en un même moment, que cette résurrection sera générale, éternelle, et qu’il y aura pour tous un jugement« 1.
Justin Martyr, au cours du 2ème siècle, fait clairement référence à l’Apocalypse et attribue sa rédaction à l’apôtre Jean, et il n’est pas le seul. Irénée de Lyon indique également que « Jean, le disciple du Seigneur, vit lui aussi, dans l’Apocalypse…2« .
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Irénée avait passé du temps à Smyrne durant sa jeunesse et il avait côtoyé Polycarpe qui avait lui connu directement l’apôtre Jean3.
Aussi, d’autres chrétiens tels que Clément d’Alexandrie, Tertullien, Hippolyte et Origène soutiennent la paternité johannique du livre de l’Apocalypse.
Le Canon de Muratori (liste des livres canoniques de la fin du 2ème siècle) va aussi dans ce sens4. En appelant l’auteur de l’Apocalypse de Jean le «prédécesseur» de Paul, qui a écrit aux sept églises (Apoc 2–3) avant que Paul n’écrive aux sept églises [lignes 48–50], l’auteur du Fragment du Muratori a à l’esprit l’auteur de l’évangile de Jean, puisqu’il suppose que l’écrivain de cet évangile était un disciple témoin oculaire qui connaissait Jésus, et qui donc avait précédé Paul, qui ne rejoignit l’église que quelques mois ou années après la mort de Jésus (Actes 9).
L’opposition la plus prononcée contre la paternité johannique de l’Apocalypse vient de Denys d’Alexandrie (milieu du 3ème siècle) et de l’historien de l’église, Eusèbe (4ème siècle). Ils attribuent l’Apocalypse a un autre Jean d’Asie, mais semblent le faire pour des raisons théologiques. Denys d’Alexandrie a rejeté la paternité johannique au cours d’un débat pour opposer l’enseignement de Nepos qui faisait appel à Apocalypse 20 pour argumenter le millénium intervenant au retour du Christ et après la résurrection des saints.
Cette vue sera reprise par Eusèbe qui essaiera de fournir des preuves historiques pour un autre Jean d’Éphèse, Jean le Presbytre. Il le fera en citant Papias, qui comme Polycarpe avait connu l’apôtre Jean. Selon Eusèbe, Papias se réfère à deux Jean, l’Apôtre et le Presbytre mais il est important de noter qu’Eusèbe n’a pas été en mesure de citer Papias revendiquant qu’un « Jean le Presbytre » ait écrit l’Apocalypse. Les Pères de l’Église n’ont jamais parlé d’un deuxième Jean à Ephèse en Asie Mineure ou à Éphèse.
Le style d’écriture de l’Apocalypse
Le problème principal de la paternité johannique de l’Apocalypse réside dans le style de l’Apocalypse qui est très différent des autres écrits de Jean. Selon Denys d’Alexandrie, les thèmes théologiques, le vocabulaire et le style grec de l’Apocalypse diffèrent de l’Évangile de Jean et de 1 Jean5.
Denys en ce sens avait anticipé les discussions que l’on trouve aujourd’hui dans les cercles académiques libéraux concernant la paternité de l’Apocalypse. L’Apocalypse de Jean aurait été écrite par quelqu’un d’autres avec possiblement un degré d’association avec une école johannique.
Denys met en avant la qualité du grec de l’évangile de Jean et le pauvre grec de l’Apocalypse. Le spécialiste du Nouveau Testament, Theodor Zahn affirme cependant qu’un tel jugement est trop élogieux quant à la qualité de l’évangile de Jean et trop sévère à l’égard de l’Apocalypse6.
L’Apocalypse s’appuie davantage sur le texte de l’Ancien Testament que n’importe quel autre livre biblique, on y trouve 184 citations exactes7 :
- 34 références directes au livre de Daniel
- 49 à Esaïe
- 31 à Ézéchiel
- 21 à l’Exode
- 23 aux Psaumes
- 16 à Jérémie
- 10 à Zacharie
- Sont également mentionnés la Genèse, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome, les Rois, les Proverbes, Osée, Joël, Malachie, Amos, Job, Maccabées et Michée.
Ces citations fréquentes ont une influence significative sur le vocabulaire et la syntaxe de l’Apocalypse. On ne sait pas toujours si certains éléments étranges du grec de Jean reflètent le langage de la version grecque ou hébreu (voire l’araméen écrit ou oral) de l’Ancien Testament.
On peut tout de même dire que le langage de l’Ancien Testament a lourdement influencé le langage de l’Apocalypse, beaucoup plus que les autres écrits johanniques et cela, ajouté au fait que l’Apocalypse est un livre prophétique, peut expliquer de nombreuses différences entre l’évangile et l’Apocalypse. D’autres différences stylistiques sont également observées dans les écrits de Luc, quand il cite des passages de la septante.
Un autre élément est que Jean a écrit l’Apocalypse sur l’île de Patmos lors de son exile. Le langage natif de Jean était l’araméen et ses compétences en grec devaient être limitées, on pourrait donc comprendre pourquoi le langage de l’Apocalypse est plus pauvre (puisqu’il a dû écrire lui-même).
L’évangile de Jean a certainement été écrit avant l’exile à Patmos et Jean a peut-être fait appel à des secrétaires ou des gens versés dans la langue grecque pour l’aider à rédiger et parfaire son évangile. Une aide a probablement été nécessaire pour un homme qui devait rapporter des faits à propos de Jésus mais qui n’était pas versé dans l’écriture.
Jésus avait choisi des gens modestes pour être ses disciples et même Marc a à priori consigné son évangile sur le témoignage de Pierre, Papias a dit ceci à ce sujet « Marc, étant l’interprète de Pierre, écrivit exactement, mais sans ordre, tout ce qu’il se rappelait des paroles ou des actions du Christ ; car il n’a ni entendu ni accompagné le Sauveur« 8.
Ce phénomène d’utilisation de secrétaires est observable dans les lettres de Paul (Rom 16:22). C’est pourquoi il est difficile de déterminer le style d’écriture d’un auteur du Nouveau Testament vu qu’on ne connait pas l’étendue de la contribution des secrétaires.
Ainsi la critique habituelle qui indique que Jean n’aurait pas pu écrire l’évangile de Jean compte tenu de la qualité de l’ouvrage et du fait qu’il n’était probablement pas versé en grec, semble expliquer, au moins en partie, la qualité du livre de l’Apocalypse. Il est pertinent de penser que Jean a pu être aidé pour écrire son évangile et qu’il a dû écrire par lui-même le livre de l’Apocalypse.
La continuité théologique des écrits attribués à Jean
Il existe de nombreuses similitudes théologiques entre les différents écrits de Jean l’apôtre :
- Le Christ est le point central de l’évangile de Jean et de l’Apocalypse
- Jésus est considéré dans les deux ouvrages comme l’agneau sacrificiel qui délivre le peuple de Dieu du péché et du Diable (Jean 1:29 ; Apoc 5:8-9)
- Jésus est appelé le « Verbe » ou la « Parole » uniquement dans l’évangile de Jean (Jean 1:1-18) et dans l’Apocalypse (Apoc 19:13)
- Jean 19:37 et Apocalypse 1:7 présentent tous deux l’accomplissement de Zacharie 2:10 « Ils verront celui qu’ils ont percé« .
- Le lien manifeste concernant le témoignage de Jésus puis sa proclamation par ses disciples (Jean 8:18 ; 14:26-27 ; 18:37 ; Apoc 1:2 ; 11:3 ; 12:11)
Enfin, le fait qu’il y ait des points différents entre un récit historique comme l’évangile de Jean et un livre prophétique comme l’Apocalypse n’est pas très étonnant. En réalité l’évangile de Jean et les épîtres contiennent aussi des éléments prophétiques/eschatologiques concernant le retour de Jésus. L’Apocalypse semble être concentrée sur l’histoire de l’église au fil de l’histoire jusqu’au retour de Jésus et le curseur est donc davantage placé dans l’avenir que l’évangile qui retrace le ministère terrestre de Jésus entre l’an 27 et l’an 30.
Au niveau prophétique on trouve aussi des liens intéressants comme celui lorsque Jésus annonce qu’il va être élevé de la terre et attirer tout homme à lui. A ce moment-ci Jésus dit dans Jean 12:31 « C’est maintenant que va avoir lieu le jugement de ce monde. Oui, maintenant le dominateur de ce monde va être expulsé« . Ce conflit entre le bien et le mal se retrouve tout au long d’Apocalypse 12 « Alors une bataille s’engagea dans le ciel : Michel et ses anges combattirent contre le dragon, et celui-ci les combattit avec ses anges ; mais le dragon ne remporta pas la victoire et lui et ses anges ne purent maintenir leur position au ciel. Il fut précipité, le grand dragon, le Serpent ancien, qu’on appelle le diable et Satan, celui qui égare le monde entier« .
Nous pouvons résolument adopter le même avis sur la paternité de l’Apocalypse que les Pères de l’Église, les éléments disponibles confortent cette position.
Références :
- Dialogue de Saint-Justin avec le juif Tryphon (81:4).
- Contre les hérésies, livre IV, chapitre les visions de Jean, page 29.
- Histoire écclesiatique, chapitre XX et Contre les hérésies, livre III, page 92.
- Lire Deux traductions françaises du Fragment du Muratori.
- Eusèbe, histoire ecclésiastique 7.25.17-27.
- Zahn, Introduction to the NT, vol. 3, 432, 435 (n. 7).
- Etude trouvée sur une page du site de l’université westminster.
- Histoire écclesiatique – Eusèbe – Livre III, chapitre 39.
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